Les autres programmes de Musica Nova
Motetti del fiore, Lyon-Florence 1532
Le divin Josquin, motets et chansons
Anass Habib
voix & percussions
Aurélie Tissot
qanun
Saed Haddad
compositeur
Nicolas André
direction Divertimento babelico
Ensemble Musica Nova
Esther Labourdette
Christel Boiron
cantus
Lucien Kandel
Xavier Olagne
contratenors
Thierry Peteau
Jérémie Couleau
tenors
Marc Busnel
Guillaume Olry
bassus
L’ensemble Musica Nova présente en 2016 Échos de Babel, un programme inédit mêlant musique ancienne et création contemporaine, avec une profondeur méditerranéenne. Fruits d’une richesse linguistique et culturelle impressionnante, les musiques d’Europe du Sud, du Maghreb, du Proche-Orient ou de Byzance seront invitées à s’unir le temps d’une rencontre. L’œuvre commandée à Saed Haddad, compositeur originaire de Jordanie, tentera de mettre au jour une harmonie entre les polyphonies du Moyen-Âge et les monodies chantées par Anass Habib, chanteur marocain, accompagnées par le qanun d’Aurélie Tissot.
La diversité des langues permet, avec ses propres mots, de montrer et conserver une identité, mais aussi d’enrichir sa voix de sonorités étrangères et d’amender sa vision du monde. Pour les chanteurs, l’exploration des langues est un travail quotidien, un voyage au cœur de l’humain, une frontière que l’on repousse chaque jour et qui alimente l’imaginaire. Telle est l’intuition de Musica Nova que d’ouvrir son champ musical à celui de la musique sacrée traditionnelle méditerranéenne. Qu’ils soient byzantins, araméens, libanais, algériens, ces chants sont susceptibles de rappeler l’origine monodique de la polyphonie médiévale. La rencontre avec le chanteur marocain Anass Habib a été déterminante dans l’élaboration de ce projet, de par son enracinement dans la culture traditionnelle marocaine d’une part, mais aussi du fait de sa volonté d’explorer toutes les musiques de la Méditerranée par delà les confessions.
L’œuvre ainsi créée s’inscrira dans une volonté de construire, en dépassant les différences linguistiques et musicales, un édifice respectueux des richesses et des diversités.
Le mythe de Babel suscite dans l’imaginaire des hommes une profonde fascination, constitutive à la fois d’une crainte et d’une défiance vis-à-vis de l’au-delà. Dépasser ses limites et sa condition terrestre, construire plus haut et s’élever spirituellement, sont parmi les aspirations les plus partagées des mortels. Les cathédrales gothiques du Moyen-Âge témoignent encore de cette quête incessante d’atteindre les sommets. La musique elle aussi n’échappe pas à ce désir de produire des œuvres aux proportions démesurées. C’est ce qui a conduit les hommes, à Babel, à accorder leurs forces dans toute leur diversité. C’est aussi ce qui a causé la punition du Très-Haut, qui, en créant la diversité des langues, a engendré le chaos et l’incompréhension sur terre.
« Réécrire Babel » permettrait d’envisager la dissemblance des langues non plus comme source de discorde mais comme source d’harmonie. À défaut d’une tour, ce programme propose, en un défi peut-être plus vaste encore, d’édifier une architecture musicale.
Ce projet bénéficie du prix Coupleux-Lassalle 2016.
Commande de Musica Nova à Saed Haddad financée par Ernst von Siemens Musikstiftung et le Festival Format Raisins.
Aide à l’écriture d’une œuvre musicale nouvelle originale par le Ministère de la Culture et de la Communication.
Les motets
Au XIIIe siècle naît un genre nouveau, le motet, qui, comme son nom l’indique, met le verbe au premier plan. Sa particularité est de superposer 2, 3 ou 4 textes et langues différents sur des cellules rythmiques répétitives.
Au XIVe siècle, l’Ars Nova introduit dans les motets pluritextuels, la multiplicité du temps qui distingue l’intemporel du temporel. Les voix évoluent ainsi en combinant chacune un texte et une rythmique propre.
Les motets choisis pour cette création évolueront entre le XIIIe et le XVe siècle. De l’Ars Antiqua à l’Ars Nova, puis de l’Ars Subtilior aux débuts de la polyphonie franco-flamande, nous puisons dans les grands manuscrits de Las Huelgas (Espagne), de Montpellier, de Chypre, ainsi que dans ceux de Bologne et Modène en Italie : les œuvres de Machaut, Perusio, Cicconia, Dufay… et des anonymes bien sûr.
Une place de choix sera consacré aux grands motets de Dufay, dernier compositeur qui manie les procédés de pluritextualité et d’isorythmie. Son célèbre motet Nuper rosarum flores (1436) composé pour la consécration du Dôme de Florence, outre son caractère de circonstance, pourrait être l’exemple parfait de l’inspiration du mythe de Babel en musique. La teneur grégorienne, fondatrice de l’édifice sonore de ce motet, déclame de manière cyclique les paroles frémissantes : Terribilis est locus iste (« ce lieu est terrible »). La coupole, construite par Brunelleschi, devient et demeure la plus grande coupole jamais réalisée.
Le motet apparaît comme une métaphore de Babel où la musique (mélodie et rythme) se superpose à la multiplicité des textes.
Les monodies
Les chants interprétés par Anass Habib proviennent des traditions sacrées byzantines, maronites, égyptiennes, araméennes, soufies… Les mélodies originaires du Moyen-Orient existaient avant le Christianisme et les premiers chrétiens les ont utilisées pour placer les textes sacrés. Ces chants s’interprétaient initialement a cappella ou avec des instruments de percussion comme le Naqus (petites cloches). Sous l’influence de la musique arabe, turque, persane, on les interprète également avec un groupe d’instruments (Oud, Qanun, Ney…).
Au-delà de leurs spécialités respectives, les voix de Musica Nova et celle d’Anass Habib fusionnent au gré de l’inspiration suscitée par le choix des pièces musicales.
Au travers de ces œuvres riches, il devient possible de renouer des liens transculturels et de dialoguer, grâce à un amour commun : la musique.
Saed Haddad étudie le piano dans son enfance. Il entreprend ensuite des études de philosophie à Beit-Jala puis à l’Université de Louvain de 1989 à 1993, et des études musicales à l’Académie de musique de Jordanie de 1993 à 1996. Il est diplômé en composition de l’Académie de musique et de danse de l’Université de Jérusalem, où il étudie de 1998 à 2001, et docteur en composition du King’s College de Londres (2002-2005) où il suit notamment l’enseignement de George Benjamin. Par ailleurs, il participe à des master-classes de Louis Andriessen, Helmut Lachenmann et Pascal Dusapin.
Après avoir exploré, dans ses œuvres composées en 2004-2006, son identité marquée aussi bien par les traditions arabes que par les pays d’Europe de l’Ouest où il réside, Saed Haddad interroge, à travers son travail, l’idée d’oubli et de distance par rapport à sa propre tradition.
Il reçoit des commandes des plus prestigieux ensembles et orchestres d’Europe, Amérique du Nord, Asie et Afrique. Sur commande de Daniel Barenboim et le West-Eastern Divan Orchestra et du Festival de Lucerne il a composé un Triple concerto créé en août 2013.
Il est compositeur en résidence et conférencier invité dans de nombreuses universités et festivals. Parmi ses récompenses, il a reçu les prix de Rome français et allemand (Villa Médicis et Villa Massimo) en 2008-2010 et le Deutsche Schallplattkritik Preis en 2010. L’ensemble 2e2m lui a consacré une grande rétrospective lors de sa saison 2012-2013.
Divertimento babelico
(pour huit chanteurs, un chanteur traditionnel arabe et qanun)
« Le thème de la composition est la paix. J’ai utilisé les neuf premières strophes du texte latin du motet Supremum est mortalibus de Guillaume Dufay, mais j’ai essayé de « babéliser » les textes (spécialement le mot ‘paix’) en utilisant des méthodes compositionnelles variées et plus de dix langues différentes. Les langues sont liées au texte latin originel par les liaisons phoniques des phonèmes.
La pièce est divisée en neuf mouvements courts dont les titres sont :
1 – Annonce
2 – Angoisse
3 – Exotique
4 – Folklorique (Hommage à Stravinsky)
5 – Children’s corner (Hommage à Debussy)
6 – Doux/Dur
7 – Chinoiserie
8 – Suspendue
9 – Hatched chicks (Hommage à Moussorgski).
J’aime que mes œuvres soient à la fois sérieuses et ironiques (et peut-être même satiriques dans certains mouvements de cette composition). Selon moi, le mythe de la tour de Babel peut aussi être vu comme ce mélange de sérieux et de dérision où la gravité de la punition divine (dont la conséquence est que les hommes parlent des langues différentes et ne se comprennent plus) a paradoxalement offert aux hommes une merveilleuse richesse linguistique et culturelle. »
Né à Fès en 1980, Anass Habib chante des mélodies arabes classiques dès l’âge de cinq ans et donne son premier concert en soliste à Fès à 12 ans.
Il perfectionne son chant en Syrie, avec de grands maîtres de Damas et Alep, puis étudie le chant Syriaque avec Ghada Shbeir au Liban et les techniques du chant et la pose de la voix avec Sœur Marie Keyrouz à Paris.
Il obtient le Diplôme d’État de professeur de chant à Lyon, et enseigne la musique arabe et les musiques sacrées du Moyen-Orient (modes, rythmes, techniques du chant arabe classique et des chants sacrés du Vieil Orient, répertoire).
Il a donné à ce jour plusieurs centaines de concerts en Syrie, au Liban, en Turquie, en Tunisie, dans de nombreuses villes marocaines et tout particulièrement à Fès. Depuis 2008 il a donné plusieurs concerts et master-classes en France, Pologne, Belgique, Pays-Bas, Luxembourg, Afrique du Sud, etc.
Sa voix est considérée comme l’une des plus belles voix arabes, avec la capacité de passer finement de la voix profonde et grave du baryton à la voix aigüe du ténor.
Son répertoire balaye de nombreux pays et civilisations, de la grande diva libanaise Fairouz à l’égyptienne Oum Kalthoum, du syrien Sabah Fakhri au libanais Wadih al Safi et Marcel Khalifé, des poèmes soufis aux chants maronites des chrétiens du Moyen-Orient, des mélodies andalouses aux chants séfarades médiévaux.